La motion de censure opposée au Gouvernement Barnier met au grand jour la crise politique profonde, devenue institutionnelle, qui larvait en France depuis longtemps, depuis que notre pays a pris un tournant néolibéral. L'on ne peut pas gouverner contre un peuple et contre un pays, et vouloir en appeler à la paix sociale et au fonctionnement régulier des institutions. Dans son allocution d'hier soir, Macron n'a finalement eu qu'un message : vous m'avez élu, vous me supporterez de gré ou de force et à n'importe quel prix encore 30 mois, de toute manière vous n'avez pas le choix et ainsi je vous sauverai de vous-même. Puisque tout le monde, sauf lui, est responsable de la crise : les électeurs, qui ont mal voté (contre lui) ; autant que les députés, qui ont censuré un Gouvernement (minoritaire).
Comment le Gouvernement, a-t-il sauté maintenant ?
En plus des raisons liées à l'approfondissement de la crise idéologique et politique dans notre pays, le Gouvernement Barnier a sauté principalement pour trois raisons.
Tout d'abord, le 49-3 a été plus d'une centaine de fois utilisé et n'a conduit qu'une seule fois sous la Ve République au vote d'une motion de censure, contre Pompidou en 1962. Il y a donc une forme de banalisation d'un instrument de gouvernance de crise. Ce qui constitue déjà une déviance du système politique.
Le Gouvernement Barnier, qui était en situation de minorité à l'Assemblée, puisqu'il ne pouvait compter que sur 36% des députés, ne pouvait faire passer le budget contesté de la Sécurité sociale. Et nous en arrivons à la deuxième erreur commise. Le Gouvernement pensait que le 49.3 passerait, comme il est presque toujours passé. Il a oublié, que le contexte politique était faussement « normal », que la crise politique existait déjà, qu'elle grandit depuis des années et se transforme en crise institutionnelle, à force d'une distance grandissante entre les élites et le peuple, à force d'un éclatement et d'un faussement de la vie politique, dont la répartition des partis politiques ne correspond plus à la véritable division du pays, entre souverainistes et globalistes.
Enfin, le Gouvernement Barnier pensait que le parti de Marine Le Pen et le groupe parlementaire autour de Mélanchon ne pourraient pas s'unir, puisqu'ils n'arrivent en général pas à la faire. Or, la situation a changé. Marine Le Pen est sous le coup d'un procès politique, elle n'a plus rien à perdre et n'a pas intérêt à continuer à jouer l'opposition docile et confortable. Elle peut s'allier tactiquement à Mélanchon contre le Gouvernement, ce qui ne veut pas dire qu'une alliance stratégique constructive soit envisageable, ni que cette alliance tactique se répètera automatiquement. Ainsi, lorsque LFI annonce sanctionner systématiquement tout Premier ministre, qui ne soit pas des leurs, rien n'indique que la motion de censure passera encore une fois. Le RN détient ici un véritable levier politique.
Transformation de la crise politique en crise institutionnelle
Ainsi, la crise politique éclate au grand jour en France, pouvant porter atteinte au fonctionnement régulier des institutions. Cela vient du fait qu'il n'y a que des minorités au Parlement et que Macron ne peut et ne veut réellement mettre en place un « Gouvernement d'intérêt général«, comme l'a pompeusement annoncé hier.
Alors qu'il tente dans son allocution de jouer sur la vague de la Patrie est en danger, il faut une union sacrée, Macron met en dehors de la gouvernance près des deux tiers des électeurs, puisqu'il exclut les électeurs du RN et qu'il tente d'isoler LFI des autres partis de gauche. Il ne peut donc y avoir « d'arc républicain », puisque la République repose justement sur la représentation institutionnelle de la volonté populaire.
Pendant plus de 10 minutes, Macron a tenté d'expliquer qu'il n'était pas responsable de cette crise, qu'il aime la France et les Français, avec une attitude théâtrale et une voix mielleuse. Pour se dédouaner, tout le monde est responsable. Tout d'abord, il accuse les Français d'avoir voté ainsi lors des législatives et d'avoir mis en avant des partis « anti-républicains ». Ensuite, il accuse les députés, d'avoir voté contre le Gouvernement et ainsi de se comporter de manière anti-républicaine. Bref, dans une poussée de mégalomanie infantile, il se voit en dernier îlot républicain en mer hostile et agitée.
Nous sommes ainsi passés de De Gaulle avec son « Je vous ai compris », à Macron avec « Vous ne m'avez pas compris ».
Et Macron d'insister sur le fait que son mandat étant de 5 ans, il y est, il y reste et il faudra bien le supporter encore 30 mois. C'est la faute de Français, c'est la faute des députés. « Vous avez pris vos responsabilités », affirme-t-il. Lui est par nature irresponsable.
Ces Français, qui auraient mis en place des conditions « inédites » (je cite) de gouvernance, puisqu'il n'y a pas de majorité à l'Assemblée. Ce qui conduit Macron à invoquer « une nouvelle réalité politique », faite de « compromis » et « sans divisions ». Mais lui, n'est prêt à aucun compromis et il entretient la division, justement pour gouverner en minorité.
Paradoxalement, Macron veut rassembler autour de sa personne, alors qu'il est une personnalité particulièrement clivante. Et que la politique, qu'il conduit depuis son premier mandat, a justement permis d'exacerber cette crise politique, devenue désormais institutionnelle. Deux facteurs furent particulièrement importants ici : la destruction systématique et volontaire du clivage droite / gauche et des partis traditionnels, ce qui a détruit le paysage politique français et affaiblit le rôle de ces partis au profit d'ovnis apolitiques manipulables ; la conduite d'une politique anti-nationale, qui affaiblit l'économie française, la société française, pour mieux dissoudre dans la globalisation un territoire et un peuple, privés de sa force vitale.
La seule solution, qui est évidemement exclue par Macron, est celle de sa démission, suivie de nouvelles élections présidentielles et législatives. Cela permettrait de rebattre les cartes, même si aucun miracle ne serait à en attendre. La France ne reviendrait pas souveraine tout d'un coup par miracle. Mais une porte serait timidement entrouverte.
Karine Bechet-Golovko
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